samedi 23 janvier 2010

Kristina Rady (2)

Postface de la traductrice, suite.

« En rangeant, je suis tombée sur quelques paquets de cigarettes à peine moisies et bien desséchées dans un sac en plastique, elles étaient aussi là depuis un an et demi parmi les livres. Ça devait être un des derniers cartons que nous avions remplis avant qu'on ne transfère Bertrand de Vilnius vers la prison française. On avait le droit de lui apporter de la nourriture et des cigarettes au parloir, mais ces dernières, on devait les sortir des paquets et les mettre une à une dans un sac en plastique transparent. S'il en reste, c'est qu'on était venu le chercher dans sa prison en pleine nuit sans prévenir, on ne nous en avait rien dit, même à nous, pour que l'aéroport ne soit pas envahi par des journalistes et des photographes. Une star du rock est une star du rock qu'il soit français ou américain, partout, le star-système traîne les mêmes meutes. Entre-temps, je ne me rendais même pas compte d'être restée dans la cave, assise sur une marche d'escalier, en train de lire Persépolis. Il me plaisait énormément. J'ai allumé la première cigarette moisie avec la première allumette moisie sur laquelle j'aie pu mettre la main, puis une deuxième, puis une troisième. Cette BD est vachement bonne. J'ai fini de lire la première, ensuite cherché les trois autres volumes que j'ai aussi lus jusqu'au bout sans bouger de là. Mais c'est génial, me suis-je dit, même à la vue des pires emprisonnements politiques abusifs et des exécutions capitales, on est mort de rire. Une autobiographie. Et tellement forte que je m'y reconnais immédiatement. Pourtant, son histoire sous la répression fondamentaliste iranienne et la guerre Iran-Irak est tellement plus dure que la mienne. Ça m'a soulagée néanmoins. Moi aussi, j'ai vécu ces choses-là en plus petit. Moi aussi, j'ai pu faire hurler de rire mes amis, en les amusant avec l'histoire de notre maison incendiée réduite en cendres et que, juste cette nuit-là, nous n'y dormions pas avec mes enfants parce que j'avais le vertige en conduisant et nous avions fait demi-tour au dernier moment. Et qu'elle était absurde aussi, cette autre situation, vers la fin juillet 2003, lorsque je préparais le festival Sziget dans notre maison forestière dans le coin le plus occidental de l'Europe, pour faire la programmation des artistes français. Je donnais le biberon à ma petite fille tandis que dans la maison ronflait encore une douzaine d'amis musiciens qui venaient de terminer la veille un enregistrement dans le studio installé dans notre écurie en éclusant pas mal de bouteilles, quand le téléphone a sonné et que j'ai essayé de comprendre dans la voix étranglée par des sanglots de mon mari qu'il était en train de se taillader les veines sur le bord d'une baignoire dans un hôtel de Vilnius, parce que dans la nuit ils s'étaient bagarrés avec l'actrice qu'il aimait, pour laquelle il m'avait quittée il y avait six mois, et qui est dans le coma, hospitalisée dans un hôpital de Vilnius. Puis j'essaye de comprendre en russe l'infirmier lituanien, mais la seule chose que je puisse prononcer c'est « Ela jite ? » (Pas un mot de plus, pour tenter de traduire « Est-elle en vie ? », ce qui, de la part de quelqu'un qui avait fait russe à la fac, n'est pas mal n'est-ce pas. A partir de ce jour, la langue russe s'est coincée une fois pour toutes à l'intérieur de moi : je comprends tout mais rien ne sort de moi.)

Malgré tout c'est ce qui est arrivé. Marie est morte et le père de mes enfants a été condamné à huit ans de prison. Un orage médiatique en plus, parce qu'il était un rockstar si honnête et incorruptible, personne n'aurait cru qu'il ferait ça, et que son amoureuse morte était la fille comédienne de la famille célèbre des Trintignant. Je vis là-dedans depuis juillet 2003. Pourtant ce n'est pas mon histoire, je ne suis qu'un personnage secondaire dans tout ça. Comme je défends le mari qui m'a abandonnée, la presse française et l'homme de la rue me voient en mère-courage. Tout le monde nous connaît et (hélas) nous reconnaît, les média français en ont parlé pendant des mois et des années. Notre rue ne désemplit pas de paparazzi. Une folie totale, absurde et insupportable. Na !

Mais cette BD est vraiment incroyablement bonne. Je dois la traduire. […]

Kristina Rady, "Postface de la traductrice"

Satrapi, Marjane Persepolis

Ford. Rády Krisztina Nyitott Könyvműhely Kiadó, 2008 ISBN: 9789639725126


Suite et fin de la traduction demain.

1 commentaire:

  1. Elle a fait des choses au-dessus de l'humain. Elle n'avait plus de forces, après avoir accompli son devoir : sauver son Mari coûte que coûte. Elle avait réussi alors, elle a préféré ne plus rien voir, ne plus rien sentir, ne plus rien entendre de la Meute de Haine, elle qui a écrit que son Homme était quelqu'un d'honnête et d'incorruptible.

    Elle était en condition de survie avec ses enfants quand son Mari était en prison. Si elle n'avait pas été là, Bertrand serait mort. Elle l'a laissé, seul avec ses enfants et son art.

    Elle ne l'aura pas revu monter sur scène tout comme la Maman de Bertrand. Son courage, sa force de vivre pour Bertrand, pour ses enfants, pour elle-même, se sont essouflés avec la médiatisation. On ne savait pas avant la Baffe qui était Madame Cantat, ni à quoi elle ressemblait.

    Cela a dû être terrible pour elle, de sortir de l'Ombre, de sortir dans sa rue envahie de Paparazzis, se voyant aux journaux télévisés mêlée malgré elle à l'Histoire d'Amour de son Mari. Elle a tenu le temps qu'il fallait pour Bertrand.

    C'est moche pour Bertrand qui ne lui reste qu'à aller pleurer sur sa Tombe. Il ne lui reste plus qu'à aller pleurer sur la Tombe de la Mère de ses enfants. Ils avaient fait deux merveilleux enfants ensemble. D'ailleurs, Milo et Alice, c'est super joli comme prénoms et ça va super bien avec Cantat.

    Elle s'est jetée corps et âme au secours de son Mari. Alors oui, je crois que c'était une femme d'exception. Et dans son Histoire aussi, on ressent toujours le Pouvoir de l'Amour.

    Elle nous prouve à Tous que certains évènements voire certains sentiments se situent au-delà de la Condition Humaine, quelque part, au-delà du supportable.

    Malheureusement, l'Amour ne nous guérit pas de tous nos maux.

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